Équipe et organisation

Recruter un DG : une étape stratégique... et complexe

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Qu’il s’agisse de passer la main ou de se faire seconder, la question du recrutement du DG se pose forcément à un moment ou un autre du parcours de l’entrepreneur, en particulier lorsque son entreprise est en hyper-croissance. C’est pourquoi nous avons fait une enquête auprès de nos membres et interrogé quelques-uns d’entre eux pour savoir comment les CEO du Galion envisageaient le rôle du DG, et dans quelles conditions. Car ce recrutement est hautement stratégique, en ce qu’il engage autant l’entreprise que le fondateur ou la fondatrice.

Des motivations différentes

Premier constat, la question est effectivement pertinente : l’écrasante majorité des répondants (70%) souhaite soit se faire seconder (42%), soit trouver leur remplaçant ou remplaçante (28%) dans les deux années à venir.

Cette volonté s’accélère avec le montant des fonds levés : la proportion de celles et ceux qui souhaitent alléger ou réorganiser leur implication en tant que CEO double quasiment pour les scale-up qui ont levé plus de 20M€.

On distingue deux raisons : les entrepreneurs interrogés veulent pour moitié recruter un autre type de talent et d’expérience pour continuer à faire évoluer l’entreprise et pour l’autre moitié se dégager du temps pour un autre projet.

Selon l’enquête, la volonté de se dégager du temps prime pour les fondateurs et fondatrices qui ont levé moins d’argent. En revanche, à mesure que la start-up progresse dans les étapes de financement, la volonté de recruter un talent pour emmener l’entreprise à l’étape suivante devient la motivation principale. À la fois parce que la charge de travail devient trop lourde et parce que la croissance exige d’autres compétences. Emilie Legoff (Troops) a recruté dès sa première levée de fonds un COO, consciente qu’en tant que solo founder, il lui était indispensable pour grandir plus vite de s’adjoindre le plus tôt possible un profil très qualifié.

Même motivation pour Christophe Collet (S4M) : « je ne pouvais pas tout faire, d’autant qu’on lançait de nouveaux produits, un nouveau business model, donc il fallait intégrer de nouvelles compétences pour prendre en charge l’opérationnel et nous aider à structurer et industrialiser. »

Distinguer CEO et COO

Mais il y a une grande différence entre recruter quelqu’un pour remplacer le CEO ou simplement pour le seconder. Dans le premier cas, il s’agit d’un Directeur Général (DG ou CEO), dans le second, d’un C-Level (COO). Bien clarifier la mission est essentiel pour identifier le profil adéquat, réussir le recrutement… et la suite.

Un bon COO doit d’abord être complémentaire du fondateur ou de la fondatrice en termes de compétences. Et, surtout, avoir une solide expérience des process et aimer les mettre en place, puisqu’un des enjeux du poste est de structurer l’entreprise pour l’aider à scaler.

Pour un CEO, l’accent est à mettre bien davantage sur la recherche d’un profil qui possède déjà l’expérience de l’étape que l’entreprise doit franchir dans les années qui viennent.

Qu’il s’agisse d’attaquer l’international ou de faire une introduction en Bourse, “ il ou elle doit savoir faire ce que je ne sais pas faire, » résume Raphaël Jore (Splio).

Ces compétences managériales sont cependant loin d’être suffisantes. Plus que tout, les entrepreneurs interrogés insistent sur 2 critères plus personnels : un vrai fit entre le fondateur et la personne recrutée, ce qui implique une vision partagée, mais aussi une même énergie, un même rythme. Et surtout : la loyauté.

Bertrand Fleurose (Cityscoot) souligne l’enjeu : « on ne sait pas à qui on va avoir affaire, alors que c’est quelqu’un qui va signer les chèques, prendre les décisions… »

Si c’était à refaire, Christian Jorge (Omie), qui a recruté un DG dans le cadre de Vestiaire Collective, travaillerait beaucoup plus la dimension culture, vision et transition pour garantir l’alignement : “pas simple d’intégrer un grand dirigeant dans une scale-up, il faut prévoir que la culture va nécessairement évoluer.”

Pour Emilie, la meilleure façon de garantir la loyauté du nouveau venu, c’est de conditionner une partie des BSPCE reçus par le manager à des indicateurs de performance opérationnels, comme le développement du chiffre d’affaires de l’entreprise. Et, en cas de sortie, de prévoir un bonus spécifique calculé en pourcentage du montant de la vente de l’entreprise.

Recrutement externe vs évolution interne

Concernant le DG ou CEO qui remplacera à terme le fondateur ou la fondatrice, une question essentielle reste celle du canal de recrutement : interne ou externe ? Les Galions interrogés ne tranchent pas nettement cette question.

Le débat entre interne ou externe est complexe. Il est généralement admis que le taux de succès est meilleur lorsque la personne vient de l’interne : connaissance fine de l’entreprise et de ses rouages, maîtrise de sa culture, expérience du produit et du marché … Les raisons sont nombreuses. Pourtant, un fondateur a paradoxalement souvent plus de mal à envisager dans le rôle de CEO un salarié qu’il a côtoyé plusieurs années en tant que C-Level, et dont il a pu constater les limites au fil du temps. Ces barrières mentales peuvent d’ailleurs aussi être le fait des potentiels candidats internes eux-mêmes, qui souvent ne vont pas spontanément se projeter dans le rôle considéré, ni exprimer d’attente particulière sur le sujet.

Si le canal interne est privilégié, une montée en puissance progressive reste à planifier. Mais elle n’est pas évidente, raconte Jean-Baptiste Rudelle qui, après une tentative ratée de faire venir quelqu’un de l’externe, a fait monter un CRO au poste de COO, puis de CEO : « rétrospectivement, c’était un très bon COO, mais il lui manquait encore certains éléments pour être un CEO accompli à ce stade. Quand vous donnez une promotion trop rapide à une personne qui n’est pas prête pour le rôle, c’est un énorme gâchis, car on ne rétrograde pas un CEO et on finit par perdre un grand talent. »

De manière générale, plus l’entreprise est mature, plus la recherche d’un profil externe s’impose de manière naturelle. Face à des défis toujours plus grands comme le développement international ou une entrée en Bourse, la start-up possède rarement en interne les compétences nécessaires pour faire face à ces enjeux. Pour dénicher la perle rare dotée de l’expérience requise, il faut donc le plus souvent aller la chercher en externe.

Respecter le process de recrutement

Qu’il s’agisse d’un CEO ou d’un COO, le poste est stratégique et le process de recrutement doit par conséquent être extrêmement rigoureux. Christophe Collet (S4M) estime s’être trompé dans le recrutement d’un COO pour avoir brûlé les étapes : « on le connaissait, alors on est parti du postulat que la complémentarité entre lui et moi suffisait. » Or le candidat s’avère usé par un précédent poste et ne délivre pas comme attendu.

Avec le recul, Christophe ferait différemment : « il ne faut pas hésiter à auditer les motivations, demander des références et prendre le temps d’un vrai process. Les équipes, notamment, sont un point d’attention car on recrute le boss des boss : le candidat recruté doit aider chacun à mieux faire son job, à être un acteur de la stratégie globale. »

Bertrand Fleurose (Cityscoot), lui, a recruté un COO à distance. À cause du confinement, mais aussi pour ne pas dévoiler des informations sur son entreprise à un candidat dans un environnement très concurrentiel. « Sur le papier ils étaient tous très bons, donc je savais que ce qui ferait la différence, ce serait l’entente, » souligne-t-il. Le candidat retenu se trouve être de la famille d’un de ses amis et co-fondateur d’une boîte plus petite.

« Il était habitué à prendre des décisions à plusieurs, et savait qu’en intégrant Cityscoot, le spectre d’action serait plus large. Et puis il est arrivé dans une boîte peu processée, qu’il adore structurer, alors que moi je ne sais pas faire… »  Bertrand Fleurose.

La complémentarité, toujours… Et aussi un rituel de calage qui fonctionne bien, sous la forme d’un coaching mensuel à deux.

Délimiter strictement les attentes et les responsabilités du COO

On l’a dit : recruter quelqu’un pour remplacer à terme un fondateur ou pour le seconder, ça n’est pas du tout la même chose. Pourtant, l’enquête démontre une porosité entre les deux postes : plus de la moitié des membres interrogés qui cherchent quelqu’un pour les seconder envisagent ce recrutement comme une étape intermédiaire dans l’accès au poste de CEO. L’idée est sans doute qu’avant de bâtir une vision stratégique, il faut d’abord démontrer une bonne maîtrise de l’opérationnel.

Concernant les COO, il est important de clarifier d’entrée de jeu la limite du job et son évolution possible, et lever d’emblée toute ambiguïté. Car le COO se verrait parfois volontiers CEO… pourquoi pas à la place du fondateur ! « il faut caler les choses en amont car un COO peut arriver avec de grosses attentes : j’ai dû marquer mon terrain et lui rappeler les limites à plusieurs reprises. Je garde la main sur l’image de l’entreprise, la finance, la stratégie, il a la partie produit et commercial, » raconte un membre.

Jérôme Lecat (Scality) estime que « choisir un COO qui veut devenir CEO n’est pas une bonne idée structurellement : il peut toujours être tenté d’aller plus vite que la musique. »

Il en a fait l’amère expérience après avoir recruté un COO qui avait, jugeait-il alors, plus d’expérience que lui pour faire passer Scality de 40 à 100 personnes. « Il souhaitait être un partenaire, et il m’a paru logique de l’accueillir pleinement, au point que j’ai évoqué la possibilité qu’il reprenne les rênes dans quelques années. C’est une erreur car alors ce n’est plus un employé que l’on manage : c’est un associé. » Effectivement, le COO reste 3 ans, au fil desquels il prend de plus en plus de poids dans la gestion opérationnelle, alors que Jérôme se concentre sur la visibilité en externe de l’entreprise. La relation finit par se dégrader, jusqu’à la rupture. “A posteriori, je me dis que j’aurais dû avoir plus confiance dans les équipes historiques. Mais personne n’osait me le dire, car quand on installe quelqu’un avec autant de pouvoir, les collaborateurs se disent que le fondateur a confiance en lui et n’osent pas faire part de leurs doutes,” analyse Jérôme.

Le délicat partage du pouvoir avec le fondateur

Sauf exception, la règle d’or est qu’il ne peut y avoir qu’un seul pilote à bord d’une entreprise. Par conséquent, il est essentiel de définir clairement le champ des responsabilités pour que l’attelage fonctionne de manière complémentaire.

Une nette majorité des Galions interrogés qui souhaitent passer la main (60%) envisage effectivement de garder une implication forte dans l’entreprise, optant pour un rôle de Président exécutif (ou Executive Chairman) avec des domaines réservés : la stratégie avant tout et, dans une moindre mesure, le produit. Il est à noter que ceux qui ont déjà franchi le pas en devenant Executive Chairman gardent typiquement la responsabilité des acquisitions externes, un choix qui s’explique par la forte dimension stratégique du sujet.

Pour que la transition soit une réussite, il appartient ensuite au fondateur de laisser toute latitude au nouveau CEO pour l’exécution opérationnelle de la stratégie. Reste au nouveau venu à démontrer sa capacité à faire face aux enjeux de l’entreprise, et à imposer son leadership…

Ce partage des pouvoirs et des responsabilités n’est pas facile pour le fondateur ou la fondatrice. « Quand vous avez été CEO pendant des années et que vous devenez simple non-executive chairman du board, » témoigne Jean-Baptiste, « cela donne une dynamique bizarre où vous devez cautionner ce que fait la personne sans être toujours aligné avec les décisions ou la manière de faire… En tant que fondateur, c’est une situation compliquée, qui demande beaucoup de détachement. Or justement le détachement n’est en général pas la qualité première d’un entrepreneur. » Face à ce constat, JB a finalement décidé de quitter complètement le board.

Organiser soi-même la transition ne la rend pas moins difficile à vivre, car il reste toujours une frustration : voir à la tête de son entreprise quelqu’un dont le moteur n’est pas… d’entreprendre, explique Raphaël : « Un entrepreneur, ça prend des risques et ça mange des pâtes. J’ai recruté une candidate carrée et rationnelle, mais qui n’était pas patronne et avait de la start-up une idée biaisée. Il a fallu qu’on accepte qu’elle apporte des choses qu’on n’aurait pas faites, et d’être critiqués pour ce qu’on avait fait. Elle devait tuer les pères ! Pour accepter cela, il est fondamental de rester connecté à la décision rationnelle qui a poussé à céder la place… »

Le board : terrain miné ?

Les relations avec le board sont souvent symptomatiques des difficultés du couple fondateur/CEO ou COO. D’abord parce que le recrutement se fait parfois à l’initiative du board, lorsque celui-ci estime que le fondateur ne peut plus assumer une tâche trop lourde ou a besoin de s’adjoindre de nouvelles compétences. Ensuite parce que la répartition des responsabilités peut aussi être largement influencée par le board. C’est le cas de Bertrand : lors de sa série C, les nouveaux investisseurs ont estimé qu’il ne pouvait plus tenir Cityscoot seul, et ont souhaité que le nouveau DG ait un mandat social pour pouvoir engager la société. « J’ai juste gardé le pouvoir de révoquer le DG. Le board m’a fait confiance sur le fait que je ne le révoquerais pas parce qu’il était bon ! »

Lorsque les choses tournent mal, tout peut se jouer sur la relation de confiance entre le board et le fondateur. Lorsque Jérôme Lecat a annoncé à son COO qu’il avait décidé de se séparer de lui, celui-ci a tenté son va-tout, demandant au board… de virer Jérôme ! « Ça en a déstabilisé certains, qui se sont demandé si ce n’était pas le moment de changer. Mais la relation de confiance que j’ai avec mes actionnaires a finalement primé. » Cela pose la question du rôle du board : Jérôme estime que celui-ci l’a poussé à trop déléguer au COO. « A posteriori je clarifierais les rôles : j’aurais dû le nommer CEO, pour qu’il soit responsable des résultats devant le board. » Aujourd’hui, échaudé par son expérience du binôme CEO/COO, il a choisi de construire un autre mode d’organisation et de mettre en place une “ direction collégiale ” et une “chief of staff”.

Le recrutement d’un DG est une étape difficile pour le fondateur, car elle implique d’aligner des éléments très personnels avec une projection à long terme de son entreprise, et d’accepter de partager le pouvoir de décision. Mais c’est une étape cruciale de développement : en dissociant le fondateur ou la fondatrice de l’entreprise, elle signale aux investisseurs et au marché que celle-ci est désormais en capacité de fonctionner en dehors de sa configuration originelle, et prête à écrire un nouveau chapitre de son histoire… Sa réussite exige avant tout du fondateur ou de la fondatrice d’être très au clair sur son projet, et donc sur le profil idéal pour le concrétiser. Et, rappelle Raphaël Jore, de garder en tête que « sur ce sujet, c’est l’entreprise qui est importante, pas les fondateurs, ni le ou la DG… »

Par :
  • Laurence LUCAS

    The Galion Project

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